Les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le deuxième étage d'un hôtel particulier hausmannien. Mon sac s'écrase lourdement sur le sol alors que ma veste valse sur la table. Mes pas sont légers et insonores sur le sol fraichement ciré. Mes lèvres s'étirent en un doux sourire, scrutant le salon puis la cuisine. Une bouteille de bourbon surement aussi vieille que moi est débouchée, presque vide. Sinon, personne. Quelques paroles filtrent du couloir sombre vers lequel je m'avance. Sourire incessant. Je prends mon temps, me demande ce qu'il fait. Un long soupir me parvient de sa chambre. Je suis ce bruit, assez naïve pour croire qu'il est seul. Et puis, je le vois. D'abord ses épaules carrées et musclées. Son dos, nu tout comme le reste de son corps. Une main lui effleure la nuque alors qu'une paire de jambes pâles enlace sauvagement son bassin. Un instant, je crois voir me voir contre lui mais ce vernis criard n'est pas le mien, ces mains non plus, ce corps et cette attitude encore moins. Quant à cette chevelure brune, presque noire, courte et en pagaille... Ma main s'abat sur la porte déjà ouverte et mes doigts frappent deux fois le bois. Deux regards se tournent alors sur moi. L'un vitreux et surpris, l'autre faussement coupable. Mon visage se fige sur une amie de ma promotion, réputée pour sa ténacité et le double-jeu qu’elle mène constamment. Elle fait ses preuves, une nouvelle fois. Mon sourire enjoué devient froid et distant. Il se relève, elle, elle se cache avec le peu de drap qu'il reste sur le lit. On aperçoit encore la marque des ongles de cette fille sur sa peau. Son regard vide et inconscient plonge dans mes yeux accusateurs, quelques secondes. Je tourne les talons et quitte cet appartement, emmenant quelques unes de mes affaires qui trainent ici et là. En quittant ce bâtiment, je quitte non seulement l'amour, mais aussi mes études, ma vie parisienne et le peu de choses qui me retiennent ici. Ma décision est prise, très vite... Je cours sous le regard curieux des passants et autres touristes jusqu'à la station de métro la plus proche. Les cassettes s’empilent dans ma valise. Je vide le carton « Candide » dans une autre. Un carton à son effigie, ce n’est même pas ce qu’il mérite. Mais je ne peux nier qu’il fait de mes courts métrages les meilleurs. Quelques fringues se nichent dans un coin de la valise, entre des caméras férocement emballées de papier bulle et plusieurs dizaines de cassettes. La fermeture Eclair se ferme sans mal. Je griffonne sur un post-it un court mot d’excuse adressé à ma mère mais surtout à mon frère et le colle sur ma porte d’entrée. Le taxi garé devant ma porte me mène à Roissy-Charles de Gaulle dans un silence pesant, assourdissant de pensées envahissantes. Je ne sais pas si je suis en colère, ni si je lui en veux. Surement, puisque mon organisme refuse de prononcer son prénom, ni même le chuchoter. J’ai mal… un mal d’amour, qu’on ne connaît que dans les livres, dans les mauvaises productions hollywoodiennes, ou dans les plaintes de ses amies. J’ai mal, mais je m’en remettrais. J’ai mal, mais je n’y penserai plus. J’ai mal, Candide, j’ai mal à cause de toi… Toi et toutes tes promesses à la con, ton attitude à la con, ton amour à la con… Tu m’y as fais croire, dur comme fer, jusqu’au bout du bout. « Voyage d’affaires ? » « Non » Sourire rassurant. Si tu savais ou j’ai envie de te le coller ton sourire niais. « Vous me paraissez bien tendue ! C’est le décollage ? » Soupir. Silence. Soupir. Café. Annonce des hôtesses. Décollage. Je m’envole, haut, très haut. Pas au Paradis, pas où tu m’as emmené, Candide, pas si haut. Mais assez pour t’oublier l’espace de quelques secondes, lorsque mes oreilles se bouchent et stoppent tout autre sentiment que la peur. J’ai peur… pas du décollage. « Plutôt l’atterrissage » Brutal retour à la réalité.