Ça va faire trois jours que je suis arrivé à Rosemont, et je ne m'y fais décidément pas. Je hais les États-Unis, espèce de rassemblement de gros tas puant le hamburger ; c'est affreux, et pourtant, c'est la stricte vérité. A chaque fois que je viens, je ne m'y fais pas, et si je n'avais pas été là pour une bonne raison, j'aurais déjà pris mes jambes à mon cou. Il y a de ça quelques minutes, j'ai demandé à un vieux débris où il y avait un bar où on pouvait se « changer les idées ». Par « changer les idées », j'entends, « où pouvoir se saouler la gueule ». Je suis seul, qu'importe, on est jamais mieux servi que par soi-même. C'est pour cela que je suis devant le « Bogart's », le vieux m'a assuré que c'était le meilleur pub des environs. Ça m'a tout l'air d'un truc hyper familial, mais rien à foutre. En plus, il pleut comme une vache qui pisse et il y a de l'orage, mes mocassins, ma chemise et mon bermudas sont trempés. Je pousse la porte battante. Ça pue la grillade et la frite, j'en ai la nausée. Si j'étais certain de trouver un autre bar, je me serais déjà barré. Mais j'ai pas réellement envie de passer la soirée dans les rues de cette ville avec le temps qui fait. Une musique de Chuck Berry tourne dans le juke-box ; j'ai l'air de m'y connaître en musique, mais c'est simplement parce que cette chanson est dans la bande originale de Pulp Fiction, film que j'ai vu une paire de fois. Des familles, toutes plus grasses les unes que les autres, sont attablées autour de larges plan de travail en bois brut, elles mangent d'énormes steaks et ont toutes à côté d'elle de grosses corbeilles de frites. Mon Dieu, où suis-je tombé. Je soupire, mais m'avance quand même d'un pas ferme vers le bar où je m'y assois. A côté de moi, des gens tous banals ; une blonde, typiquement américaine, avec ses cheveux blonds, son maquillage de plouc et ses fringues bon-marché ; un vieux pochard avec son whisky, qui doit être là pour oublier sa vie de merde, j'ai envie de lui en taper 5 pour lui montrer notre point commun. Je m'abstiens toutefois ; après le reste des personnes est tellement pathétique que je ne m'attarde pas dessus. « Un shot de vodka » Dis-je dans un anglais sans réellement d'accent français apparent. La vielle barmaid acquiesce et commence à s'affairer. Je commence à faire jouer mes doigts sur le comptoir. La blonde d'à côté me lance un regard mauvais. Je la regarde et hausse les sourcils tout en pinçant la bouche. Elle veut du pain ou je me trompe. La vielle bonne femme me ramène mon précieux liquide. Je ne lui dis pas merci et lui arrache limite des mains. Je me retourne vers la blonde et lui montre le verre comme pour lui dire « A la tienne chica. » Avant de porter la vodka à mes lèvres et de l'avaler cul-sec. Je tape sur le comptoir à l'adresse de la barmaid. « Un autre. » Elle opine. Je fouille dans la poche de mon bermuda pour en sortir mon Blackberry. Sissi n'a toujours pas répondu à mon sms. Je ne lui ai pas expressément dit que j'étais à « Rosemont » pour elle, mais je lui ai fait comprendre que cela ne saurait tarder. Je le balance sur le comptoir d'un geste nonchalant. Ma commande arrive une nouvelle fois. Je m'apprête à mettre la main dessus quand quelque chose s'agrippe à mon bras. Je me retourne pour faire face à une fille, hyper jeune, hyper blonde, qui pue le parfum de supermarché, maquillée comme une voiture volée et portant des fringues qui en cache moins que nécessaire. « Ouais ? » Dis-je sans faire le moindre effort pour me montrer poli. Elle commence à rire. Ai-je dit quelque chose de drôle ? D'une voix de pouf, elle sort. « Tu me payes un verre ? » Je la dévisage quelques instants avant de dire en français. « Non mais tu sais quoi ? Tu peux aller voir ailleurs s'y j'y suis ? Parce que ton petit jeu de jeune chagasse, ça m'intéresse pas. » Elle ouvre la bouche d'un air choqué. Elle n'a pas du comprendre ce que je déblatérais mais le ton avec lequel j'ai exposé la chose lui a clairement mi la puce à l'oreille. Elle s'éloigne en claudiquant sur ses hautes plates-formes. Je me retourne, fier de ma prestation et porte une nouvelle fois le shot de vodka à mes lèvres pour en vider rapidement le contenu.

Journée de merde. Comme depuis des semaines déjà la pluie ne cesse de tomber sur Rosemont. La pluie, je déteste la pluie. Je déteste sentir les habits mouillés qui me colle à la peau, le fait de ne pouvoir s'asseoir nulle part sans prendre le risque de se tremper un peu plus. Je hais la façon dont elle chasse la vie de chaque rue, de chaque veine de la ville. Je crois d'ailleurs que tout ce que j'aime dans la pluie est son silence, la façon dont tout parait beaucoup plus calme lorsqu'elle s'échoue en petites larmes sur les pare-brise, les fenêtres des maisons et les feuilles des arbres. Je n'ai pas vu Sasha depuis maintenant de jour et l'enfermement me fait crever. « Maman je sors ! Silence. Maman ? » Lorsque j'entre dans la chambre ses yeux sont clos. Plongée dans un profond sommeil l'inquiétude me prend aux tripes. Sa peau est pâle, toujours plus pale. Je griffonne quelques mots sur un papier, le plie et le dépose sur la table de chevet. « Je suis sortie boire un verre ne fait pas de bêtises en mon absence, je rentre vite ». Enfilant un manteau et une paire de talons usés, je me glisse dehors en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

Au Bogart's la situation est de pire en pire. Nouveau lieu des adolescentes timbrées et des quadragénaires alcoolos, le bar n'a plus l'air de rien si ce n'est, d'un fabuleux bordel. En tout cas c'est l'image que j'en ai lorsque je viens hanter seule les tabourets, un peu trop grands, du comptoir. L'homme à ma droite n'a pas l'air d'ici, un regard un peu trop sur de lui, un rictus froid sur le visage et la manière qu'il a de me dévisager tout en s'efforçant d'être discret. Il a aussi ce petit froncement de nez et je comprends immédiatement qu'il n'est pas habitué à côtoyer ce genre de bar miteux en tout cas pas les soirs de grands désastres. Un verre qu'il boit, avale presque avec le contenant lui-même, on ne dirait pas qu'il est très heureux ici. Pourtant, je déteste son allure, la façon dont il s'adresse à barmaid et celle dont il dévisage les gens. Tel des martiens d'une autre planète. T'as un problème, t'es perdu. T'as pas l'air chez toi ici, tu ferais peut-être mieux de te casser tu ne crois pas ? « Tiens tu n'es pas avec tes amis ce soir ? Tu veux boire quelque chose. » Je tourne la tête, c'est la barmaid qui me parle. « Salut et non pas ce soir. La bande est au repos aujourd'hui. Je lui souris comme pour excuser l'impolitesse de mon voisin et l'encourager dans son boulot. J'avais envie d'être un peu seule. Pour moi se sera une limonade s'il te plait. » Elle me rend me sourire avant d'aller chercher la petite bouteille, bien trop petite pour le prix qu'elle va me couter. Je n'ai jamais été du genre à boire seule, très peur pour moi. Ce genre de rituel est presque morbide même. « Non mais tu sais quoi ? Tu peux aller voir ailleurs s'y j'y suis ? Parce que, ton petit jeu de jeune chagasse, ça m'intéresse pas. » Français ? Je m'appercois un peu tard, lorsque la fille est partie que je dévisage le jeune homme, de façon assez déplacée. Alors, pour m'excuser je lui lance un « Pardon » en français un des seuls et uniques mon dont je me souviennes encore de cette langue on ne peut plus tordue. Puis je reprends dans mon anglais natale « Bel accent pour un français, dis tu me ferais une traduction ? »

Je le jauge du regard tentant de comprendre ce qu'un français fait à Rosemont. Encore pire, ce qu'il fait dans un pub paumé tel que le Bogart's. Bien qu'insipide je ne peux que lui tirer mon chapeau face à la façon dont il a virer l'enfant timbrée quelques minutes plutôt, alors que beaucoup auraient profité de la situation. La vodka pour noyer les soucis ou te perdre encore un peu plus dans cette ville ?

Spoiler:

La vodka me brûle la gorge et pourtant je ne peux qu'en quémander. Je ferme les paupières histoire de reprendre mes esprits et les ouvre sur la jeune bonde à côté de moi. Il y a quelque chose dans son regard qui ne m'inspire rien qui vaille, je la dévisage donc quelques instants avec un air mauvais. Elle s'excuse en français. Je hausse les sourcils et écarquille les yeux. « Bel accent pour un français, dis tu me ferais une traduction ? »  Je ne réponds pas à sa question et me tourne vers le comptoir pour commander un autre shot. Je sens que je vais finir ma soirée dans un état pas possible, que je vais devoir me traîner en rampant jusqu'à l'hôtel. Sans me retourner vers elle et jouant avec le verre que la barmaid m'a amené, je lance d'une voix rauque en anglais. « En gros je lui ai dit d'aller se faire foutre. » Je n'ai pas vu la tête qu'elle me faisait, peut-être était-elle choquée par mon impolitesse, ou peut-être en était-elle fascinée, que sais-je. Je remarque avec joie qu'un cendrier est posé sur le comptoir. [j'en ai à vrai dire aucune idée s'il on peut fumer dans les bars dans l’illinois. je sais qu'à New-York c'est pas possible, mais bref. osef] Je fouille dans la poche arrière de mon bermuda et en sors mon paquet de cigarette. J'extirpe une clope du paquet et la porte à mes lèvres. Dans un élan de générosité je me tourne vers la blonde et lui tends le paquet. Elle me regarde d'un œil interloqué ce qui a le don de me faire jeter le paquet sur le comptoir en soupirant. J'allume ma cigarette et me tourne vers elle tout en tendant la main. « Candide. »

Spoiler:

Je fais tourner la bouteille sur le comptoir, dans un sens puis dans l’autre. Puis je finis enfin par l’ouvrir. Comme une enfant qui cherche de quoi passer le temps avant de devoir rentrer chez elle. «En gros je lui ai dit d'aller se faire foutre. » J’ouvre grand les yeux à l’entente de son langage, de la façon dont il s’adresse à moi et dont il choisit ses mots. Décidément il ne marque aucun bon point ce soir. Ni jamais, je pense. T’aurais peut-être du y aller avec elle, non ? La phrase me saute à la gorge et n’attends qu’un signe pour s’échapper de mes lèvres. Pourtant, je n’en fait rien, comme à mon habitude je préfère prendre sur moi et rester calme. Le calme est une forme de force d’après Sasha, c’est bien ce que nous verrons. Il a ce quelque chose de presque naturel dans son idiotie, quelque chose d’étrange, qui me rappel quelqu’un dont je ne me souviens rien si ce n’est la façon, qu’il avait lui aussi, de paraitre au dessus de tout, toujours un touchable par ce qui l’entour. Presque hautain, irresponsable et puérile. Je plonge mon regard dans ma bouteille, par le goulot je plonge jusqu’au fond du soda, comme pour me perdre. Me noyer dans l’eau sucrée.

Au bout de quelques minutes il me tend finalement quelque chose, sans dire un mot. Me forçant à relever la tête mon regard ce pose sur un paquet de cigarettes. J’arque un sourcil l’air de dire : Mais qu’est ce que tu me fous là, fais pas semblant d’avoir un reste d’âme, d’égo ou de générosité. T’es associable à vomir alors te forces pas à faire semblant. Alors il jette le paquet sur le comptoir comme vexé de mon absence de réaction et cette fois-ci je ne me retiens plus. « Candide » Qu’il me lance en me tendant la main, mais je n’écoute qu’à moitié. Candide, un prénom un peu trop étrange pour lui. Il ne lui correspond pas, ni à son sal caractère ni même à sa façon d’être. Candide, toi t’es pas candide t’es juste un crétin finit, cherche pas plus loin. « Désolée mon beau, mais le cancer du poumon très peu pour moi. » Puis je rie, je rie jaune à l’idée qu’il gâche sa vie alors que maman n’es de cesse de ce battre pour elle, en vain. Et je réalise combien ces gens sont pathétique, à fumer une taffe puis deux, pour coller à un genre, un look ou parce qu’ils ont été trop idiots pour tomber dedans et ne peuvent plus s’arrêter. « D’ailleurs tu ferais mieux d’arrêter tant qu’il en est encore temps, silence Candide » J’insiste sur son prénom comme pour lui faire parvenir ma pensée. Un vrai crétin finit celui-là.