« Dis, tu m'aimes ? » Levant la tête de l'intérieur du capot, je le dévisageais. À quoi jouait-il ? « Je te charie, respire, on dirait que t'as vu un fantôme. » Il se marrait ce con, j'avais du mal à esquisser un sourire, même faire semblant. Il savait que c'était un sujet tabou, le seul entre nous, et il ne se gênait pas pour le ramener sur la table, quel enfoiré. Parfois, je passais des nuits entières sans dormir, à me demander pourquoi je l'avais emmené dans mes valises. J'avais peur de l'inconnu, d'être seule, du silence. Alors je l'avais pris lui, et pas un autre, parce que je le connaissais depuis toujours, parce que si j'avais eu un frère j'aurais voulu que ce soit lui, parce que oui bordel je l'aimais, mais pas d'un amour passionnel, embrasant, destructeur. Je l'aimais comme on aime un chien de compagnie, un tee shirt dédicacé, comme un frère quoi. « T'es pas drôle Neil. » J'avais un problème avec l'amour depuis toujours, j'ai jamais été foutu de dire je t'aime à voix haute, pas même à un miroir, ces sept stupides lettres me restaient dans la gorge. On parle sans cesse des gosses traumatisés par le divorce de leurs parents à un jeune âge, mais qu'en est-il de nous, les oubliés, ceux qui doivent faire fasse chaque jour à un couple qui se déchire, n'essayant même plus de garder la face, à se rabaisser, à celui qui fera le plus mal ? quelle belle image on en garde du prince charmant. « T'es con Neil, t'es si con c'est pas possible. Et en plus t'es fier de toi. Passe-moi la caisse à outils et arrête de sourire bêtement. » « Mamita faut le dire si t'as des problèmes de couple, je croyais que tout allait bien avec Dorian. » Et c'était le cas. Mais l'aimais-je ? Je ne m'étais jamais réellement posée la question. Les papillons dans le ventre, c'est que des conneries qu'on a inventé pour larguer un mec qu'on supportait plus. Avec Dorian c'était différent, différent d'avec tous mes anciens copains, pourtant je ne pouvais m'empêcher de le tromper. Mais quel était mon problème bordel ! Il mérite mieux, tellement mieux, mais j'peux pas me résigner à le laisser car oui, on dirait bien que je l'aime. Neuf mois c'est pas rien, on aurait pu avoir un enfant ensemble même, neuf mois c'est long, bien plus long que toutes mes anciennes relations additionnées. Je suis bien avec lui, si bien, alors pourquoi je ne peux pas juste m'en contenter ? « C'est quoi mon problème Neil ? Hein ? Parce que faut vraiment pas que ça tourne rond pour avoir un Dorian et faire ce que j'en fais. Faut que j'arrête mes conneries, faut que j'arrête. » Je lâchais la clé à molette et m'adossais contre la portière. Pourquoi n'était-il pas aussi simple de déchiffrer mon coeur comme le moteur d'une voiture ? Tout y est mécanique, c'est tellement facile, pas comme nous, les humains, on est rempli de sentiments, et moi je suis pas douée avec ça. Les sentiments. « Sol Sol Sol, mon petit soleil, viens là. » Il essaya de me prendre dans ses bras mais je l'esquivais, comme toujours. Avec Neil on est pas trop câlins, on préfère la bagarre; il a jamais joué au Ken pour moi, j'ai du m'habituer aux petites voitures, mais c'était ça ou rentrer à la maison et endurer les cris des parents. J'avais grandi chez lui, entourée de ses soixante-dix milles frères et soeurs, c'était toujours la joie chez les Petersen, sa mère était la femme la plus généreuse et humble que j'ai rencontré dans ma vie, j'ai eu plus mal à son enterrement qu'à celui de ma propre mère. Combien de fois j'ai pensé Je suis née dans la mauvaise famille, pourquoi ils m'adoptent pas, une enfant de plus ils ne sont plus à ça près, je me ferais toute petite promis promis promis. Me Petersen me regardait alors avec de grands yeux remplis d'amour et éclatait de rire, d'un rire chaleureux, apaisant. Bon sang que je l'ai aimée cette bonne femme. Plus que ma propre mère, mon propre père, mes propres parents tous les deux. Pourquoi le destin avait-il choisi que son temps sur terre en était terminé ? c'était pas fini, elle avait encore tant de bonnes actions à accomplir, j'avais besoin d'elle pour veiller sur moi, sur Neil, sur le monde. Un coup de coude me ramena au garage -« Allô la terre, y'a quelqu'un pour toi. » Me retournant dans un halo de mèches blondes, je l'aperçus, dans l'embrasure de la porte, nonchalant comme toujours, avec ce petit sourire aux lèvres comme si il se marrait à une blague que seul lui connaissait, seul lui pouvait comprendre. « Bébé j'ai trouvé LA blague, franchement notre pari il est dans la poche là. C'est l'histoire de deux poussins .. » Promis demain j'arrêtais les conneries, les tromperies, promis je deviendrais sage, je ferais tout pour qu'il reste mien encore un peu.